Politique

Quoniam adves erascit

12/1964

La sentence est tombée. Miloud Hamid et Ouassini, son frère, les assassins du Petit-Jard, ont été condamnés à mort. - Chacun de ceux qui les ont jugés a rempli son rôle comme il devait le remplir. - Le jury pouvait-il répondre autrement que « oui » aux questions posées ? Le crime était des plus odieux. - Jamais peut-être on ne s'est senti, dans un procès d'assises, moins de doute sur la culpabilité de prévenus et moins de pitié instinctive qu'en ce 9 décembre où le jugement fut rendu. - Et pourtant...-

Les conséquences d'un « oui » légitime et sincère sont enclenchées. Avons-nous souci de les voir en face ? Ce qui est enclenché c'est un mécanisme inexorable et presque inéluctable, tant ce dossier est de ceux que le comité compétent sera porté à présenter au Chef de l’État avec le moins d'indulgence : un mécanisme au bout duquel, par une aube sale, douze soldats devront abattre deux hommes pleins de jeunesse et à ce moment sans défense.

Et jusque là ? La porte s'est refermée sur leur sourire crâneur aussitôt perdu. Un autre mécanisme s'est enclenché, celui d'un règlement médiéval que nul ne s'est jamais soucié d'humaniser (qui pense à ces déchets de notre race, les condamnés) ; un règlement ironiquement destiné à préserver contre eux-mêmes la vie de ceux qu'on destine au peloton et par la même révélateur de leur torture morale. - L'esprit du Talion anime ces dispositions. - Miloud et Ouassini Hamide ont été vêtus d'un déguisement clownesque soigneusement étudié pour éviter le suicide. Les voici dans une cellule jour et nuit éclairée, enchaînés, arpentant l'espace qui sépare un lit scellé au mur, d'une table et d'une chaise également scellés. Et jour et nuit l'obsession d'un œil vigilant qui les guette !

Ils ont signé leur recours en grâce. Ils gardent un espoir. Mais les semaines passent. Aucune réponse ne vient. Alors chaque soir, c'est l'agonie. Vers la fin de la nuit, des pas dans le couloir... - « Courage, mon ami »... Ne serait-ce pas cela le réveil ? Vienne l'aube, on peut dormir (à moins qu'après tout le règlement n'oblige à se lever). - Vingt quatre heures encore devant soi. Le sursis d'un jour commence. Mais tandis que déclinent les heures que rien ne peuple, la peur reprend et s'accroît, l'atroce supplice de la peur qu'il faut n'avoir jamais enduré pour penser sans pitié à ces misérables.

Car la peine de mort, c'est aussi cette agonie prolongée. On a diminué les souffrances physiques. On est même gentil : on donne une cigarette et un verre de rhum. Allons donc ! la question n'était sans doute pas pire que cette angoisse !

Et nous, ne le savons-nous pas que dans cette cellule le Christ est en agonie ? Cette agonie que notre Société impose, il l'a vécue et jusqu'à la sueur de sang. Tout visage d'un condamné a sa ressemblance. Puisse-t-il nous pardonner de ne pas la voir !

Puisse-t-il surtout apaiser la souffrance dont nous sommes malgré tout coupables. - Seigneur, quand la fin du jour pousse au paroxysme l'anxiété de ces condamnés, demeurez avec eux car pour eux, vraiment, la nuit tombe.-